Les émulsions de bitume sont partiellement composées d’eau. La teneur en eau influence grandement le comportement de l’émulsion, que ce soit pendant la production, au cours du stockage ou sur le chantier. Pour ces raisons, il est important de connaître le rôle de la teneur en eau dans le domaine des émulsions de bitume, les moyens de la déterminer en laboratoire, et les problèmes potentiels qui y sont liés, qu’il sera toujours souhaitable d’éviter.
Table des matières
Définition
La teneur en eau d’une émulsion de bitume désigne le pourcentage massique d’eau présent dans l’émulsion. Dans toute formule d’émulsion de bitume, la teneur en eau doit être clairement indiquée en pourcentage massique. Généralement comprise entre 25% et 60%, la teneur en eau est directement liée à la teneur en liant de l’émulsion, ces deux notions étant régulièrement employées de manière interchangeable. Plus une émulsion contient de liant, moins elle contient d’eau et inversement.
Rôle dans les émulsions de bitume
La teneur en eau influence directement les propriétés de l’émulsion telles que sa viscosité, sa stabilité, ou encore son comportement à la rupture. Généralement, bien qu’il puisse y avoir des exceptions, on considère que :
- Plus la teneur en eau d’une émulsion de bitume est faible, plus sa viscosité est élevée ;
- Plus la teneur en eau d’une émulsion de bitume est faible, plus sa stabilité est faible ;
- Cette règle est fiable pour des teneurs en eau allant de 25% à 40% (teneurs en liant de 60% à 75%), les émulsions avec des teneurs en eau plus élevées (teneurs en liant plus faibles) pouvant présenter des problèmes de stabilité.
- Plus la teneur en eau d’une émulsion de bitume est faible, plus sa rupture est rapide.
Viscosité
Les émulsions de bitume sont composées de gouttelettes de bitume dispersées dans la phase aqueuse et stabilisées par des émulsifiants. Plus la teneur en liant est élevée (teneur en eau faible), plus les gouttelettes de bitumes sont proches les unes des autres et se gênent. Ainsi, les gouttelettes de bitume présentent moins de mobilité. Cette baisse de mobilité des gouttelettes de bitume se traduit directement par une résistance de l’émulsion à l’écoulement, et donc une viscosité plus élevée.
Stabilité
On l’a vu : plus les gouttelettes de bitume se gênent, plus les émulsions risquent d’être visqueuses. De la même manière, plus il y a de gouttelettes de bitume, plus il y a de chances que deux gouttelettes de bitume se rencontrent et fusionnent, pour ne former qu’une seule et même gouttelette plus grosse. Si ce phénomène se poursuit, les gouttelettes deviennent de plus en plus grosses, jusqu’à être tellement grosses qu’elles tombent au fond ou migrent à la surface. Donc plus la teneur en eau est faible, plus l’émulsion risque de présenter des problèmes de stabilité.
Rupture
La rupture de l’émulsion est un phénomène complexe, au cœur des techniques routières à l’émulsion de bitume. La rupture des émulsions de bitume peut avoir lieu de plusieurs manières :
- Rupture par déstabilisation de l’émulsifiant : l’émulsifiant responsable de la stabilité des émulsions ne permet plus la répulsion entre les gouttelettes de bitume, ce qui provoque la coalescence des gouttelettes et donc la rupture.
- Rupture par évacuation de l’eau : l’eau est progressivement séparée des gouttelettes de bitume, par évaporation, par absorption par les granulats ou par adhésion des gouttelettes de bitume à la surface des granulats.
Les mécanismes de ruptures sont souvent un mélange de ces deux phénomènes. Par exemple, les ruptures rapides adviennent par attraction des gouttelettes de bitume à la surface des granulats, éjectant l’eau vers l’extérieur. En plus, les granulats contribuent à déstabiliser les émulsifiants. Quant aux ruptures lentes, l’eau s’évacue par évaporation et par lente déstabilisation de l’émulsifiant sous l’effet de la réaction avec l’air.
Méthodes de détermination
La teneur en eau joue donc un rôle majeur dans le domaine des émulsions de bitume, en influençant les propriétés des émulsions à la production, au stockage et à l’application. Il est donc indispensable de contrôler la teneur en eau des émulsions pour s’assurer qu’elle est conforme à la formule et à l’application visée.
EN 1428 – Méthode du Dean Stark
La méthode classique de détermination de la teneur en eau des émulsions de bitume est la méthode de la distillation azéotropique au Dean Stark, décrite dans la norme EN 1428. Cette méthode consiste à distiller l’émulsion afin d’en récupérer l’eau dans le collecteur Dean Stark. Le volume d’eau est ainsi mesuré et permet de vérifier la conformité de la teneur en liant par rapport à la formule et à la norme EN 13808. L’essai Dean Stark, qui peut durer entre 1h30 et 2h, nécessite l’utilisation d’un solvant de distillation (la norme NF EN 1428 recommande l’utilisation du xylène). Ces solvants présentent une toxicité, ce qui impose de prendre les mesures nécessaires pour protéger les opérateurs des vapeurs de solvants et des éventuelles projections.
EN 16849 – Méthode à la balance dessiccatrice
La méthode de détermination de la teneur en eau avec la balance dessiccatrice est une méthode alternative au Dean Stark. Quelques grammes d’émulsion sont disposés dans une coupelle avec un papier filtre, et l’ensemble est chauffé jusqu’à évaporer toute l’eau de l’émulsion. Les teneurs en liant et en eau de l’émulsion sont alors calculées en comparant la masse d’eau évaporée par rapport à la masse de l’échantillon initial.
Rapide et simple à mettre en œuvre, cette méthode a aussi l’avantage de ne requérir aucun solvant ni nettoyage. L’essai présente un inconvénient par rapport à l’essai Dean Stark : la température de chauffe doit être adaptée en fonction de la teneur en fluxant dans l’émulsion et à la nature de ce dernier (minéral ou végétal). Pour les émulsions comprenant plus de 1.5% de fluxant minéral ou plus de 5% de fluxant végétal, la méthode à la balance dessiccatrice ne permettra pas d’obtenir une valeur de teneur en eau fiable, en raison des risques d’évaporation du fluxant.
EN 1431- Méthode de distillatation
La teneur en eau des émulsions de bitume peut aussi être déterminée par distillation selon la norme EN 1431. Le principe de cet essai est similaire à celui décrit dans la norme EN 1428, bien que la méthode de distillat d’huile ne nécessite pas de solvant de distillation. L’échantillon d’émulsion, placé dans une cuve fermée, est chauffé avec un brûleur à gaz jusqu’à stabilisation du volume de distillat. Cet essai permet aussi d’isoler les fractions huileuses du liant, fractions pouvant provenir du fluidifiant ou du fluxant du bitume, et qu’il peut être utile de caractériser.
Les problèmes de production liés à la teneur en eau
Comme énoncé précédemment, les teneurs en eau et en liant d’une émulsion de bitume répondent à un besoin concret lié à l’application visée sur chantier. Une teneur en liant trop élevée ou trop faible peut donc compromettre la réalisation du chantier ou réduire significativement la durée de vie de l’ouvrage. La norme NF EN 13808 admet une tolérance sur la teneur en liant des émulsions de bitume : une émulsion C60 (cationique à 60% de liant) peut présenter une teneur en liant comprise entre 58% et 62%, soit une tolérance de ±2%. Ces données sont répertoriées dans le Tableau 2 (page 12) de la norme NF EN 13808 :2013.
En cas de non-conformité de la teneur en liant par rapport aux spécifications, plusieurs problèmes peuvent survenir :
Viscosité :
- Une teneur en liant trop faible (teneur en eau trop élevée) entraîne une baisse de la viscosité de l’émulsion. L’émulsion risque d’être trop fluide pour l’application visée : une émulsion d’enrobage pourrait couler au fond de l’enrobé foisonné, tandis qu’une émulsion pour enduit superficiel (ESU) pourrait ruisseler sur la chaussée. Le revêtement n’est plus homogène, certaines zones seront trop riches en liant alors que certaines en seront dépourvues, et des défauts risquent d’apparaître rapidement.
- Une teneur en liant trop élevée (teneur en eau trop faible) entraîne une augmentation de la viscosité de l’émulsion. L’émulsion risque d’être trop épaisse pour l’application visée : une émulsion d’enrobage pourrait ne pas permettre le bon enrobage de tous les granulats tandis qu’une émulsion d’imprégnation pourrait rester bloquée en surface sans parvenir à s’infiltrer dans le sol. Le revêtement n’est plus homogène, certaines zones seront trop riches en liant alors que certaines en seront dépourvues, et des défauts risquent d’apparaître rapidement.
Stabilité et rupture :
- Les émulsions de bitume sont formulées en laboratoire pour répondre spécifiquement à un besoin précis. Les paramètres, tels que l’émulsifiant à utiliser, la teneur en émulsifiant, ou encore la teneur en acide, sont ajustés pour obtenir le meilleur résultat sur chantier. Produire une émulsion dont la teneur en liant ne correspond pas à la formule, c’est donc s’exposer à des problèmes majeurs, notamment en termes de stabilité et de rupture de l’émulsion. S’il y a trop de bitume dans l’émulsion, les teneurs en émulsifiant et en activateur pourraient ne pas être suffisantes pour stabiliser le mélange, ce qui pourrait résulter en une décantation prématurée de l’émulsion ou en une rupture trop rapide sur chantier. S’il n’y a pas assez de bitume dans l’émulsion, les forces de répulsion entre les gouttelettes de bitume ne sont plus optimales, et l’émulsion risque de se déstabiliser ou de présenter un comportement à la rupture anormal.
Conclusion
La teneur en eau d’une émulsion de bitume est un paramètre majeur à la disposition du formulateur au laboratoire pour développer la formule répondant le mieux aux besoins de chantier. Une fois ce paramètre fixé, les productions industrielles doivent être rigoureusement contrôlée pour assurer la conformité de la teneur en eau par rapport à la formule, et ainsi maximiser les chances de réussite du chantier. Il existe plusieurs méthodes pour déterminer la teneur en liant des émulsions de bitume, ce qui permet de sélectionner l’essai le plus adapté en fonction des normes en vigueur, de la formule et de l’équipement disponible au laboratoire.